Le Quartier Juif d'Oran en 1960 (Derb El Ihoud)



Mon Enfance,

Je suis né au sein d'une famille modeste en 1943 à ORAN, à la Rue de Zurich (aujourd'hui Rue Frenda) au cœur du derb, le quartier juif d'Oran.

J'ai grandi dans une famille juive arabophone par ma mère qui est née à Tlemcen et dont les ancêtres parlaient l'arabe depuis des siècles, et judéo-andalou par mon père.
Ma grand mère maternelle qui vivait avec nous les dernières années de sa vie,
s'habillait en musulmane et ne parlait que l'arabe avec mes parents et c'est ma mère qui faisait la traduction quand j'étais petit garçon.
La langue arabe s'est imposée à moi rapidement et je regrette aujourd'hui de ne plus conserver quelques mots et expressions. L'accent est toujours là et je ne resiste pas lors de mes voyages dans les pays arabes de prononcer quelques phrases me rappelant ainsi les petites conversations que j'avais avec les commerçants arabes, étant adolescent.

L'histoire de ce quartier est liée avec le départ du dernier gouverneur espagnol le 29 Février 1792 sous le contrôle des armées du Bey Mohamed b. Uthman , qui chassa définitivement les Espagnols.

Devenu Mohamed el Kébir, ce bey décida de repeupler la ville et fit appel aux habitants juifs de de l'Oranie pour relancer le commerce. Ils leur vendit des terrains à bas prix situés entre le Château Neuf et le Fort Saint André, avec la seule conditions d'y construire des immeubles sur des alignements donnés.
Le Quartier juif se construisit dans presque toute sa longueur et était parcouru par trois principales rues, parallèles au boulevard Joffre (aujourd'hui boulevard Maata Mohamed el Habib) la rue de la révolution, la rue d'austerlitz appelée "rue des juifs" et la rue de Wagram.

La rue d'Austerlitz (aujourd'hui rue Daho Kadda) était la plus curieuse à parcourir avec ses commerçants, artisans,et brocanteurs en tous genres. Elle était toujours très animée, exceptée le samedi jour du shabbat. Ce Quartier est vieux de deux siècles.

La rue de Zurich est transversale entre la Rue d'Austerlitz et la Rue de Wagram (aujourd'hui rue des Frères Hamida)
Au numéro 4, mes parents occupaient, au premier étage un petit appartement de deux pièces, donnant sur un grand patio, sans fenêtres, sans eau, avec les toilettes sur le palier.
C’était un immeuble de deux étages construit autour d’un grand patio avec une grande terrasse où les locataires pouvaient faire sécher le linge. Le seul point d'eau se trouvait dans la Cour, au rez de chaussée, et nous devions charrier des seaux d'eau à l'étage.
L’ensemble des locataires étaient juifs. J’y ait vécu jusqu'à ma treizième année.

A l'angle de la rue de Zurich et de la rue d'Austerlitz (Rue des Juifs) s'installait tous les matins le marchand ambulant de calentica Mr PEREZ.La calentica vient de l'espagnol "caliente" "chaud" est une sorte de gros flan à base de farine de pois chiches .Gamin, ma mère m'y envoyait souvent aller acheter un morceau lorsque je faisais la grimace devant le plat qu'elle avait préparée pour le déjeuner.

Le Plateau de Calentica

Plus tard, nous habiterons à Saint-Antoine, quartier situé au coeur de l'Oran multiconfessionnel . Mon père pût obtenir un petit appartement de deux pièces avec eau (et toilettes toujours sur le palier), au numéro 7 de la rue Mac Mahon, devenu aujourd'hui la rue Setti Ould Cadi (Fille de Caïda Halima - Une femme de haut rang -Oran La Mémoire- de Kouider Metaïr - Ed. Bel Horizon)

Je suis le sixième et dernier enfant, dont trois sont morts de maladies infantiles, à quelques mois d'intervalle. La malédiction qui a précédé à ma naissance, m'a valu d'être "vendu" au "croque-morts" afin de me protéger de la grande faucheuse.
Je n'ai jamais très bien compris en quoi consistait cette appartenance à la "Confrérie des Morts", mais je dois reconnaître que j'ai échappé à ces maladies infantiles qui sévissaient durant ces années de Guerre.

Ma mère, née Fortunée COHEN, était issue d'une famille juive pratiquante de Tlemcen.(La Jérusalem du Maghreb) Nous fûmes très tôt, inscrits à l'Alliance Israélite à Oran mes frères et moi. Nous apprîmes l'hébreu et l'histoire du peuple juif, en même temps que nous fréquentions l'école laïque de la République.

Ma petite enfance se déroula tristement. J'accompagnais ma Mère tous les jours au cimetière israélite d'Oran, en pèlerinage sur les petites tombes de mes frères et sœurs. J'ai grandi avec cette tristesse, chéri par une mère, reconnaissante à la vie de lui avoir épargné, son "tout dernier". Mon petit sac de billes en terre devint rapidement un gros sac de larmes.

En face de notre immeuble, habitait mon oncle Charles COHEN, au numéro 3 de cette même rue de Zurich. Il était transporteur de marchandises et posséder un gros camion. Avec son fils Joseph, l’aîné de mes cousins et ses ouvriers arabes, ils déchargeaient les sacs de denrées alimentaires du port d'Oran, chez les grossistes du quartier de la Rue de la Révolution.

Mon Oncle Charles était pêcheur, et chaque fin de semaine, il allait poser ses lignes sur la jetée du port d'Oran. Il revenait le samedi après-midi, avec dans sa besace, des bonites et des pageots. Enfant, aux vacances scolaires, quelque fois, je l'accompagnais, et je me souviens qu'il fallait me coucher tôt la veille, afin de me lever de bonne heure, pour le lendemain. Avant, il fallait préparer les appâts que mon Oncle confectionnait avec de la mie de pain mouillée et du fromage rassit, qui me laisse encore aujourd’hui une odeur pas “très agréable”
Mon oncle Charles était en homme bon et généreux,et très souvent il aida mes parents à subvenir aux fins de mois difficiles. Ma tante Fortunée, qui portait le même prénom que ma mère, était une femme d'un très grande gentillesse. J'allais très souvent chez eux, pour goûter à la sortie de l'école, et je m'accoudais sur l'un des balcon du troisième étage pour contempler le fourmillement du quartier.

Une autre tante prénommée Étoile habitait un minuscule appartement dans le même quartier à quelques rues de là, Rue Damiette. Nous allions passer des après-midi avec ma mère, quand j'étais enfant. Il y avait mes cousins Joseph et Émile BENSIMON, et mes cousines Perle et Renée. Leur Père, mon Oncle Salomon, qui devait être régisseur dans une ferme et se déplaçait avec une petite carriole à cheval.

Je me souviens de Joseph BENSIMON qui était tapissier et avait une petit atelier en haut de la rue de la révolution. Je le revois préparant ses fauteuils et ses canapés.
Avec mon frère aîné Gilbert ils partaient souvent faire des randonnées à vélo sur la Corniche oranaise.

Enfin, hors du quartier juif et au Sud de la ville habitait à CHOUPOT,(Rue Marcel Saint Germain) l'aînée des sœurs de ma mère, ma tante Mémoh, Épouse de Mimoun ACHOUIL. Ma tante et mon Oncle avaient acquis un grand terrain où ils cultivaient des légumes, qu'ils vendaient au Marché Blandan au Centre du Quartier Juif.
Plus tard, ils feront construire sur ce terrain, un bâtiment avec deux appartements à l’étage et mes cousins Joseph et Prosper ouvriront un grand magasin de vêtements au rez-de-chaussée qu'ils baptiseront des deux premières lettres de leur prénom "JOPROS"

Je me souviens aussi du plus jeune frère Charles. Il possédait une moto, où je me suis quelques fois retrouvé comme passager. J'étais pas peu fier. Je devais avoir sept à huit ans.

A CHOUPOT, j'ai passé de bons moments,en jouant avec les vélos de mes grands cousins, sous oublier le chien "Tintin" un bâtard rouquin et joueur.
Coté cousines, dans la famille ACHOUIL, il y avait trois jeunes filles, Paulette, Jeannette, et Henriette, qui avaient fait le grand saut. Quitter Oran, pour aller travailler à Paris. En les écoutant racontant leurs aventures de "parisiennes" dans les années 1950, il m'est resté ce goût du voyage, que je ferais quelques années plus tard en me retrouvant Étudiant à la Sorbonne à Paris en 1959.

Je me souviens particulièrement de ma cousine Jeannette, qui était "ouvreuse" au cinéma "Le Paris" à l’angle du Boulevard du 2ème Zouave. C'est à elle que je dois mes premiers films et mon goût pour le septième art.
Entre deux séances, elle me faisait entrer discrètement au fond de la salle pour voir le film, et régulièrement venait prendre de mes nouvelles.

Ma tante Memoh et l'oncle Mimoun, reposent aujourd'hui, avec mes parents, au Cimetière israélite de Cronenbourg à Strasbourg.

Mon père tenait une petite boutique d'Artisan Plombier au 30 de la Rue Philippe, après la mosquée PACHA.
On y accédait en descendant les escaliers de la rue de la Mosquée. Ses revenus très modestes étaient constitués de quelques francs, le jour où il pratiquait une soudure sur plomb, chez un particulier.
Dans un coin du local, un minuscule escalier en colimaçon donnait accès à un petit deux pièces où vivait seule ma grand mère paternelle Rébécca GRIGUER, déjà très âgée et aveugle. Ma mère lui préparait ses repas que mon père lui amenaient en semaine.
Le dimanche, je descendais à la rue Philippe apporter son déjeuner à cette grand mère qui me recevait toujours avec une voix douce.
Entre deux cuillères ma curiosité d'enfant, m'amenait à la questionner sur l'enfance de mon père et la faire parler du grand père que je n’avais pas connu qui était cocher et qui était mort a quarante cinq ans, de maladie dont on ne connaissait pas l’existence.

Rébécca GRIGUER est morte en 1957 à quatre vingt dix ans. J'eus beaucoup de chagrin,et j'assistait pour la première fois, à quatorze ans, à un enterrement juif. En Algérie, les juifs étaient enterrés dans leur linceul, hors du cercueil. Ce dernier ne servait qu'a transporter le corps jusqu'au cimetière, où on le déposait directement dans la tombe que l’on recouvrait immédiatement de terre.

Nous étions indigents et ce terme m'a servi de vocabulaire permanent durant toute mon enfance, où il fallait lever le doigt pour obtenir crayon et papier à l'École Communale PAIXHANS.

Élève studieux, j'ai reçu de mes professeurs le meilleur de leur enseignement.

J'ai grandi avec deux frères, l'aîné âgé de huit ans de plus, et le cadet de cinq ans.

Avec mon Frère Joseph, j'étais "Enfant de cœur" à la Grande Synagogue d'Oran, ce grand édifice inaugurée en 1918 l’une des plus belles synagogues d’Afrique du Nord .
Nous assurions la chorale le vendredi soir, à la grande fierté de ma Mère. Nous participions aussi aux cérémonies de bar-mitsva et de Mariages. Ce lieu de culte est devenu, en 1975, la Mosquée Abdelah Ben Salem, celui-ci était un riche juif médinois qui se convertit à l'islam et resta fidèle à sa nouvelle foi en Dieu jusqu'à la fin de sa vie.

Seuls les juifs aisés pouvaient célébrer ces cérémonies à la Grande Synagogue d’Oran. Mon appartenance aux "Enfants de cœur" m'a permis de bénéficier de la cérémonie de ma bar-mitsva à la Grande Synagogue d'Oran.

En 1956, Joseph obtint une bourse et alla étudier à Strasbourg à l’Ecole Rabbinique où il eût comme Professeur André NEHER, grand figure du judaïsme français.

En 1959, mes relations avec mon Père se détériorent, et je décide, par un subterfuge, de lui extorquer devant le Juge de Paix mon émancipation.
Je devenais Majeur à seize ans alors que la Majorité était à vingt et un ans.

Je rêvais de départ, de découvertes. Aller à Paris. Ce Paris littéraire, artistique, culturel (Boris Vian, Sydney Bechet, Claude Lutter, Truffaut, Chabrol,Sartre, ...)
Cette même année, je m'embarque à bord du "VILLE D'ORAN" pour monter à PARIS faire mon Droit.

Les vacances venues je retournais régulièrement à ORAN, où j'occupais différents petits boulots me permettant de regagner PARIS en Septembre avec quelque argent bien gagné.


Dessins de Joseph ALFONSI




La Rue de Zurich où je suis né, aujourd’hui (Rue de Frenda) La Rue de Zurich (Coté Escaliers Lambert) Photos Ed. Attias