LA SYNAGOGUE D'ORAN

par Pierre Badia
La Façade

Rien n'est plus long et difficile que de prendre des décisions d'emplacements et de situations des futurs monuments qui orneront une ville, surtout quand on ne manque pas de place, et qu'il faut faire en même temps traiter avec les militaires.
Les problèmes rencontrés par les élus ont été doubles Premièrement, subir les contraintes imposées par les gouverneurs de la place militaire
(1), deuxièmement ne pas provoquer la colère des habitants de la basse ville (2). Lespès, avec son livre sur Oran, nous a laissé un document historique exceptionnel dans lequel il expose
une à une les séances du conseil municipal.
C'est au cours de l'une d'entre elles, qui se déroula le 28 septembre 1867, dirigée par le maire Mr Floréal Mathieu
(3) que fut réglée la question des " réserves civiles " (4). dans laquelle il fut prévu l'emplacement de la synagogue (5) à l'angle du boulevard Sébastopol et de la rue d'Arzeu (6) prolongée (7).
L'appellation synagogue désignait originellement la communauté. Le nom est transféré à l'édifice dans lequel elle priait.
La synagogue devient une institution religieuse officielle du judaïsme rabbinique après la destruction du temple de Salomon en 70 après J.C.
Elle est depuis la maison des prières " Beth ha tefillah "
(8) . En 1877, las d'attendre (9), le consistoire israélite, se référant à cette vieille séance de 10 ans, décide de
construire un temple. Les lieux du culte ne suffisent plus, ils sont trop petits et trop dispersés, ils ne favorisent pas le rassemblement de la communauté
(10) .
A cette époque Oran est un immense chantier et prend tous les jours de l'importance. L'activité de son port ne cesse de croître. Le terrain est donné gratuitement par la ville. En 1880 la première pierre est posée. La construction va se faire par souscription volontaire en Afrique du Nord, en France et même en Angleterre. La synagogue d'Oran se trouve au boulevard Joffre
(1 l) à Oran.
Il a fallu une foi extraordinaire pour recueillir les fonds nécessaires mais aussi le courage religieux et politique pour mener à bien l'organisation et la direction de l'oeuvre. L'achèvement des travaux a pris le temps d'une génération.
Il faudra attendre 38 ans pour que se réalise le grandiose projet, on avait vu grand et les devis ont été largement dépassés.
La municipalité participe pour clore le budget manquant. Enfin le grand rabbin Weil peut réceptionner l'édifice religieux.
Mazal toy ! Mazal tov!
(12), C'était mérité pour les milliers de croyants anonymes chargés de recueillir des fonds qui ont gardé l'espoir malgré les innombrables entraves, les difficultés financières et les résistances conservatrices.
Le 12 Mai 1918 la synagogue est inaugurée en présence d'une foule énorme évaluée à plus de 5000 personnes venues de tous les coins d'Algérie mais aussi de France et de l'étranger.
L'émotion atteint son comble, lorsque les portes se sont ouvertes pour laisser entrer les fidèles, leur siddour
(13) à la main.
Il n'y eut pas assez de place, mais on n'était plus sous le coup des interdictions
(14), et les prières pouvaient être entendues de la rue.
Toute la nuit l'allégresse et les chants se sont fait entendre, et dans les maisons en paix, les pères
(15) levaient les verres en regardant leurs fils et disaient: " lekhaîm, lekhaîm " ( à la vie, à la vie ).
Nous sommes en 1918,1a guerre n'est pas encore terminée, le grand rabbin Weil termine son allocution " en suppliant Dieu de protéger la France, de lui conserver sa force et son prestige, et de lui donner enfin la victoire qu'elle a si bien méritée "
(16) .
Vue de l'extérieur, le bâtiment est très important. La façade où une splendide rosace aux vitraux multicolores illuminent l'intérieur est parée de chaque côté de 2 tourelles de 20 mètres de hauteur
(17) où sont accolées deux ailes aux coupoles harmonieuses qui terminent l'ensemble (I8). A l'intérieur trois grandes portes surmontées de vitraux s'ouvrent sur la nef.
Celle ci est séparée des bas-côtés par des arcades décorées d'arabesques et que supportent des colonnes de marbre rouge.
Le coeur est réservé au tabernacle ( hekkal ) portant gravé au sommet les commandements de Dieu et l'étoile de Salomon
(19) que l'on retrouve d'ailleurs dans tous les vitraux.
A l'intérieur derrière une draperie de velours rouge brodée d'or datant de 1845, plusieurs sépharims sont enfermés.
Chacun d'eux contient écrit à la main, en hébreu, sur parchemin, le pentateuque ou les 5 livres de Moîse.
Des fidèles ont offert les ornements qui les surmontent ainsi que l'index en or ou en argent avec lequel l'officiant suit la lecture de la loi.
En avant du tabernacle on remarque un magnifique candélabre à huit branches, sur le modèle de celui de Jérusalem qui n'en avait que sept, mais qu'il est interdit de reproduire.
Au milieu de la grande Nef, "la Téba " où les tables de Moïse, sont en noyer ciselé, ainsi que la chaire en pur style oriental.
900 sièges, en chêne massif, occupent le rez de chaussée du temple.
Au ler étage, sur les côtés et devant les grandes orgues qui comprennent 18 jeux et 900 tubes, sont les places réservées aux femmes
(20), les hommes seuls ayant droit d'occuper le bas pendant les offices religieux.
Le plafond de cet oratoire comme celui des deux bas côtés du temple est orné d'une Ner-Tamid, aux nombreuses veilleuses
(21) ajourées, la pluspart en argent massif offertes par les fidèles en mémoire d'êtres chers disparus, parce que " la flamme symbolise l'âme ". Les ampoules électriques sont dissimulées dans de jolies lanternes marquées du sceau de Salomon. (22)
Au premier étage deux salles servent, l'une aux assises du tribunal rabbinique chargé de trancher les différents religieux, tribunal que préside le grand rabbin auquel sont adjoint deux assesseurs, l'autre aux délibérations du consistoire.
Dans la première pièce se trouve une précieuse bibliothèque renfermant toute une littérature religieuse sous forme de manuscrits et de livres vieux de 2 ou 3 siècles.
Cette synagogue est la plus belle de toute l'Afrique du Nord
(23). A l'intérieur se trouvent des plaques où sont gravés les noms des 400 juifs morts au cours de la guerre1914 -1918.
Les juifs d'Oran peuvent être fiers de leur oeuvre, la synagogue a mis du temps à servir au culte de la communauté.
On a entendu dans les murmures des premiers fidèles: " sof tov. ha kol tov "
(24). Le vent de l'histoire a soufflé une fois de plus dans le mauvais sens, la belle synagogue est devenue une mosquée.(25) Elle reste un lieu de culte pour les " Ahl El Kitab ", les peuples du livre, la maison des prières, " el Bethha tefillah ".

Pierre BADIA

1-
Longtemps l'avis des militaires a prévalu sur les décisions civiles pour des questions de défense et de fortifications. Avec le progrès des armements. les murs fortifiés ont eu moins d`importance. Cela explique en partie comme l'a écrit Camus que notre ville tourne le dos à la mer.
2- La ville d'Oran était particulièrement concentrée à la marine. Mardochée Darmon, grosse fortune, fit construire à ses frais la synagogue consistoriale d Oran. Il avait été avant 1792, le mandataire officiel du dey de Mascara, mais surtout un des fondateurs de la communauté.
3- La rue Floréal Mathieu est perpendiculaire à la rue d'Arzew et aboutit à la rue Alsace-Lorraine. Au n°l se trouvait la galerie de peinture " Le Primatice " et au 2 le central télégraphique et téléphonique
4- Lespes - Oran page 172
5- Plusieurs emplacement furent décidés ce jour là; Oran - Lespès page 172
6- C'est le docteur Schaw, un prélat anglais, qui, écrivant une chronique de ses voyages en Algérie pour des anglais, a ajouté un w au nom d'Arzeu.
7- Bd du 2ème Zouaves. En fait la synagogue se trouvait à l 'angle des Bd Sébastopol et Magenta .
8- Histoire de l'art juif.
9- Quand les espagnols détruisirent la synagogue située à la Marine, et qu'ils construisirent à sa place l'église St Louis achevée le 16 avril 1670, ils l'appelèrent l'église de St Christ de la Patience... qu'ils eurent pour supporter les juifs. Cf. Revue Africaine
I0- Bien que le retard a été dû en partie au fait que certains juifs préféraient la discrétion de leurs petits lieux de culte, ( les schules ) aux fastes de la nouvelle synagogue. Il y en avait plusieurs: la synagogue consistoriale, le kahal de la place de Naples. la synagogue Lasry du nom de Jacob Lasry
qui l'offrit à la communauté en 1863, la synagogue rabbi Youda Moatté rue d'Austerlitz, la synagogue Zagouri rue de Lützen, la synagogue Haïm Touboul ouverte en 1877 rue des Pyramides.
11- ex Bd National
12- Félicitations et ou bonne chance en hébreu.
13- Livre de prières
14- Voir note 19
15- En portant ces souhaits, les pères voulaient espérer un meilleur avenir pour leurs enfants, mais ils espéraient aussi les garder près d'eux, car avec l'éclatement du quartier, les libertés nouvelles et la guerre, ceux ci échappaient à la communauté.
16- Cruck. Promenades dans Oran. Ed. L Fouques 1939
17- Ces vingt mètres sont symboliques du désir d'élévation religieuse et témoignent de la liberté de construire en hauteur. trop longtemps réprimée en terre d'Islam.
18- Nous remercions E. Cruck pour son livre Promenades dans Oran ( Fouques - Oran 1939) duquel nous avons retiré l'essentiel de la description de la synagogue.
19- E Cruck page 78: " l'étoile de Salomon que l'on retrouve dans tous les vitraux et les lantemes marquées au sceau de Salomon " Gérard Partouche pense qu'il faut lire l'étoile de David.
20- Si les femmes sont dispensées des cérémonies synagogales, elles sont les responsables de la vie juive, et les continuatrices exclusives de la tradition communautaire et familiale. André Chouraqui "Histoire des juifs d'Afrique du Nord" page 171, Hachette,1985.
21- Ner tamid (hébreu) lumière perpétuelle brûlant en permanence dans les synagogues au-dessus de l'arche contenant les rouleaux de la loi. Désigne également la veilleuse allumée en souvenir d'un défunt ( Marek Halter "la mémoire d'Abraham" Ed Robert Laffont 1985).voir note 14
22- Voir note 19
23- Le bâtiment est majestueux, très haut, Halter les pères du projet ont voulu briser par ce symbole une des 12 lois de la charte dite d Omar qui stipulait que les synagogues ne devaient jamais être plus hautes que les maisons arabes. De même on ne devait pas entendre leurs prières et leurs clochettes. Ils étaient des hommes libérés de la condition de Dhimmi.
24- En hébreu " tout est bien qui finit bien "
25- Dans toute l'histoire du Maghreb, c'est un événement courant. Les lieux de culte ont changé de mains selon les forces en présence. Des synagogues sont devenues églises, des mosquées églises (l' église St André en haut du quartier juif est une ancienne mosquée dite des baranis (étrangers) restaurée fin 18 ème. Les croyants ne s'embarrassèrent pas du lieu. ils le transformèrent, le détruirent et le reconstruirent pour prier.

L'intérieur